Aventure: Le jour où je suis né

Ce week-end, j’ai fait un road trip avec mon fils à Thionville, pour fêter la Bar Mitsvah de mon petit cousin.

Pour la bonne compréhension de ce récit, précisons que je suis né à Thionville et que j’ai grandi à Metz qui est la grande ville voisine, et que mon père a grandi à Clouange, dans un village à une douzaine de kilomètres de là, où mon Grand-Père était le tailleur du coin. La région est le berceau de mes origines. Comme Demnate au Maroc du coté de Maman, sauf que j’ai grandi en Lorraine.

Mon père, donc, a grandi dans le coin, avant de partir vivre à Metz à 60kms de là, et tous ses amis de jeunesse sont restés là. Mon oncle, lui, s’est installé comme médecin à Thionville où il a exercé toute sa carrière, et a donc gardé un lien plus proche avec ce groupe d’amis, que nous retrouvons donc lors des réunions de ce côté de la famille. Réunions qui se font de plus en plus rare depuis 20 ans que mes parents sont venus vivre à Paris, et que la distance ne nous permet pas d’y aller aussi simplement qu’on le voudrait.

Ce week-end a donc été celui des retrouvailles pour mon Papa, qui a revu des gens qu’il n’avais pas croisés depuis plusieurs années, voire dizaines d’années, qui sont tous venus le saluer en disant « tu me reconnais ». Comme il n’est plus aussi autonome qu’avant, Samuel et moi restions avec lui du côté des hommes dans la synagogue (ce que Samuel, 7 ans, a appelé affectueusement du Papy-Sitting), et nous avons assisté à la plupart de ces retrouvailles. Et la plus marquante, pour moi, est celle là:

  • « Daniel, tu me reconnais?

  • Oui bien sûr.

  • Je me rappelle d’un jour de Kippour, on faisait Ne’ilah (la prière qui cloture Kippour) et tu t’es dépêché de rejoindre ta femme qui accouchait à l’hôpital, et le lendemain tu revenais avec un bébé. »

Et voilà, en une phrase, ma naissance il y a tout juste 49 ans. L’évènement qui avait marqué la mémoire de cet homme quand il pense à mon père. La visualisation de ce qu’avait été mon arrivée dans cette petite communauté juive d’une petite ville de l’Est de la France, où tout le monde connaît tout le monde. À quoi j’ai répondu « le bébé c’était moi », ce qui m’a valu une poignée de main chaleureuse et un regard ému en voyant que le bébé avait lui même eu un bébé.

Mais ce qui m’a choqué, c’est que j’ai beau connaître l’histoire de ma naissance, j’avais tout faux et j’ai du la réécrire dans mon esprit. J’ai grandi à Metz, et donc pour moi, « la synagogue » quand j’étais enfant, c’est celle de Metz. Et donc à chaque fois que Mère m’a dit «  ton père était à la synagogue pendant que j’accouchais » jusque là, dans mon image mentale de ce moment, je l’imaginais devant celle de Metz. Alors qu’il était à Thionville. C’est très logique, en vrai. Mais j’ai projeté mon expérience sur son souvenir, et ça a donné ce décalage.

Non que ce soit quelque chose de crucial dans mon histoire. Ça n’est réellement important que pour moi. Ça montre juste à quel point une image peut-être puissante dans notre esprit, alors qu’elle est fondée sur un non-dit. Que parfois, tout ce qu’on laisse hors du cadre peut devenir un contresens pour un autre, qu’on ne verra nous même jamais. Que chacun, avec sa propre expérience, verra une chose différente dans la même histoire. Qu’une photo, ou une histoire, avec tout ce qu’on laisse hors champ pour ne pas la rendre indigeste, ne nous appartient plus à partir du moment où on l’offre à quelqu’un d’autre, qui va se l’approprier sans même qu’on (ou il) en soit conscient.

A chacun de choisir ce qu’il veut absolument préciser, et ce qu’il veut laisser ouvert. Mais soyez conscients que ce choix que vous faites va directement impacter l’appropriation que chacun se fera de ce que vous racontez, et que souvent, laisser au spectateur la possibilité de s’approprier votre histoire le marquera beaucoup plus durablement que si vous aviez été parfaitement clair sur tous les détails.

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Créatif: pas à pas